A nos débuts, nous considérions que tout cheval qui rentrait chez nous, quelque soit le temps qu'il faudrait, à force de persévérance dans le travail que nous lui apportions, finirait par devenir un bon cheval de loisir. A partir du moment où nous réussissions à sortir en extérieur avec lui sans danger, à partir du moment où des problèmes de manipulation ou de respect semblaient résolus, nous pensions que le cavalier qui l'achèterait, après l'avoir essayé dans des conditions réalistes chez nous (et avoir ainsi montré ses capacités), s'en sortirait sans problème. Cela a été effectivement, heureusement, le plus souvent le cas... mais pas toujours. La problématique soulevée par ce "pas toujours" pouvait ainsi se résumer : lorsque nous réussissions à résoudre une difficulté avec un cheval (par exemple, le montoir, la prise des pieds, la prise du filet...), devions-nous considérer que la difficulté était résolue de manière définitive, ou devions-nous considérer qu'elle était résolue "chez nous, avec nous" ? Est-ce qu'une petite erreur ou approximation du nouveau propriétaire pouvait faire resurgir les problèmes que nous pensions résolus ?
Nous avons alors décider d'insister sur notre rôle de "conseil" auprès des clients qui venaient nous voir. Nous nous sommes aperçus qu'il existe un fossé entre le monde "je fais de l'équitation en club, avec le cheval de club, avec le moniteur qui corrige ma position et perfectionne ma technique selon des normes qui ont pour but de me faire devenir un jour un bon cavalier de dressage et de CSO"
et le monde "j'ai mon cheval pour faire ce que je veux, où je veux... alors que ma monture peut être influencée par ses désirs propres (rejoindre le troupeau, éviter la flaque...), peut réagir à l'environnement, peut chercher à m'imposer sa volonté...".
Nos recommandations relevaient alors, non pas de haute technique équestre (nous ne prétendons pas avoir cette compétence), mais plutôt de raisonnements, d'analyses, et de petites techniques concrètes simples (ne relevant pas forcément de l'orthodoxie "clubesque"). Nous avons tenté de développer des principes de "bon sens" : en toutes circonstances, donner le juste confort immédiat lorsque le cheval fait bien, et le juste inconfort immédiat lorsqu'il fait mal; analyser chaque difficulté pour la diviser en petites difficultés... nous avons inventé un proverbe chinois : "pour ne pas perdre la guerre, ne pas faire la guerre" (n'aborder les difficultés qu'en sachant que l'on est dans les bonnes conditions pour les résoudre)...
Cette évolution dans l'exercice de notre travail nous a d'abord permis de diminuer les cas où un client ne s'en sortait pas, et nous a souvent aidé, lorsqu'un client rencontrait une difficulté, à rentrer dans un dialogue plus constructif que la vieille, intellectuellement primaire, et stérile opposition entre l'acheteur et le vendeur : le premier arguant qu'il lui a été vendu un mauvais cheval, le second prétendant que l'acheteur ne sait pas monter.
Le palier suivant dans notre façon d'exercer notre travail relève des illusions perdues. Nous nous sommes aperçus que, trop souvent, (même si ce n'est heureusement pas toujours le cas), les gros défauts de comportement d'un cheval peuvent sembler se corriger, mais peuvent rester sous-jacents, prêts à réapparaitre dès que le cavalier et le contexte changent.
A ce sujet, un exemple. Nous avons eu un ibérique qui, à ses débuts chez nous, était odieux : il réussissait à faire lâcher la longe lorsqu'on l'emmenait en main, il faisait mine de charger dans son champ... A force de persévérance, nous avons réussi à ce qu'il ne manifeste plus ces détestables habitudes. Nous l'avons vendu à petit prix, à perte, à une personne à qui nous avons tout expliqué (justifiant ainsi le prix). Lorsque cette personne l'a vu et essayé chez nous, le comportement du cheval semblait normalisé. Nous avons expliqué qu'il faudrait néanmoins continuer à être vigilant. Résultat : le cheval a été acheté; dans son nouvel environnement, avec sa nouvelle cavalière, il a repris ses mauvaises habitudes... et notre acheteuse ne s'est pas privée de nous dénigrer ...
C'est ce type de mésaventure qui nous a décidés à franchir l'étape suivante : nous avons négocié avec les gens à qui nous achetons des chevaux une sorte de "garantie" : si l'évolution d'un cheval ne nous semble pas suffisamment favorable, si un problème nous semble trop important, nous avons la possibilité de le rendre. Cette garantie implique le fait que nous achetions nos chevaux un peu plus cher. Elle implique aussi le fait que nous travaillons inutilement une partie des chevaux qui rentrent chez nous.
Un exemple que nous vivons souvent : le cas des trotteurs. L'expérience nous a appris que ces chevaux sont souvent braves, plutôt robustes, plutôt pas peureux. Mais dans une proportion non négligeable, on tombe sur des individus "guerriers", voire intenables, lorsqu'ils ont compris le galop et lorsqu'ils ont pris la mesure de leur environnement. Ceux-là, nous les rendons. Le fait que nous les achetions plus cher que les marchands, que nous en travaillions certains inutilement (avec les transports que cela implique), et que ceux que nous vendons ont eu assez de travail pour que l'on puisse raisonnablement penser qu'ils feront de bons chevaux de loisir explique que nous les vendions plus cher que les associations ou les marchands qui se contentent de les faire monter une fois ou deux par un stagiaire.
Même si ces évolutions vont toujours dans le sens de tenter d'optimiser la satisfaction de nos clients, il faut admettre le paradigme suivant qui résume assez bien, je crois, notre activité et ses difficultés :
Nous devons évaluer un cheval, le faire évoluer... et évaluer son évolution dans le futur qu'il connaitra avec son nouveau cavalier.
Nous devons évaluer le cavalier futur propriétaire, parfois le faire évoluer... et évaluer son évolution dans le futur qu'il connaitra avec son nouveau cheval...
... cela ne relève pas d'une science exacte...
Même si nous essayons de travailler avec à la fois rigueur et passion, nous admettons humblement que nous ne sommes pas détenteurs d'une Vérité Unique...
Et nous sommes ouverts à toute suggestion réfléchie et constructive...
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