ECURIES  DU  MONT VERDUN  
POINTS DE VUE, IDEES, EXPERIENCES VECUES
Chronique N°19


... La fameuse crise d'adolescence du cheval... il est plus prudent d'acheter un cheval de 8 ans au caractère déjà fait ?


Pour beaucoup, il est acquis qu'à 4 ou 5 ans le cheval fera sa crise d'adolescence, et que même s'il a été facile jusque là, les choses vont se corser... normal, c'est à cet âge qu'il prend conscience de sa force.

Cette opinion, largement partagée, permet lorsqu'on se trouve en difficulté avec son jeune cheval de se dédouanner : "je n'y peux rien, il fait sa crise d'adolescence". On a l'explication qui permet de ne pas chercher plus loin (éventuellement, on va chercher sur internet "comment gérer la crise d'adolescence du cheval?")

Les mêmes personnes qui se retrouvent face à un cheval de 8 ans qui va utiliser les défenses classiques (cabrade. marche arrière...) parleront d'un cheval rétif (là aussi, "puisqu'il est rétif, "je" ne peux rien faire").

D'ailleurs. même en dehors du monde équestre, on a souvent tendance à s'appuyer sur une opinion générale largement partagée pour se déresponsabiliser : "mes difficultés viennent du gouvernement, des politiciens, des patrons... qui n'ont rien compris à la vraie vie... et donc "je" n'y peux rien".

Revenons à l'équitation.

(Tous les raisonnements qui vont suivre ont pour hypothèse préhalable que nous sommes dans des cas où les chevaux comprennent les indications du cavalier.)

Figurons-nous un diagramme avec 2 courbes reflétant 2 types d'état mental du cheval :
La 1ère courbe représente la reconnaissance de la part du cheval de ce qu'il est amené à faire : "je sais ce que le cavalier m'indique, je sais ce que je dois faire". Nous allons appeler cette courbe "la courbe JE SAIS".
La 2ème courbe représente la volonté du cheval : "j'ai envie de". Nous l'appelerons ainsi : "la courbe J'AI ENVIE".

Tant que ces 2 courbes sont proches ou se confondent, tout va bien. Il n'y a pas de difficulté, on ne parle pas de "crise d'adolescence" (ou de rétivité, ou de remise en cause des anciens propriétaires...). Certains peuvent avoir la chance de posséder un cheval dont les courbes "JE SAIS" et "J'AI ENVIE" restent toujours proches (ce serait cela que nous qualifierions de "super-mental"). Et c'est à postériori, à l'épreuve des évènements et des circonstances que l'on pourra juger le mental.
Mais le plus souvent, un jour ou l'autre, les 2 courbes vont se séparer.

Un cas classique : lorsque l'on vient d'acheter un cheval, les 1ers jours, le cheval dérouté, perdu, cherche des nouveaux repères; et il est logique que "la courbe J'AI ENVIE" soit éloignée de la courbe "JE SAIS" : le cheval a autre chose en tête que ce que lui demande le cavalier.. Et puis, normalement, les choses s'arrangent.

S'il s'agit d'un cheval jeune et qu'au bout d'un certain temps la courbe "JE SAIS" et la courbe "J'AI ENVIE" s'éloignent l'une de l'autre, on évoquera la fameuse crise d'adolescence.

Plutôt que de parler de crise d'adolescence, il est plus subtil et plus responsable d'admettre que tout au long de sa vie, il y aura des moments où le cheval sera susceptible d'affirmer que sa volonté est différente de ce que veut le cavalier.
Plutôt que d'évoquer l'âge et la fameuse crise d'adolescence, il me semble plus judicieux d'évoquer la progression d'un certain ENNUI qui se distille au fil du temps : toujours la même carrière, les mêmes types d'exercice; souvent les mêmes circuits en extérieur;
les mêmes routines; on longe dans le même manège, on prépare le cheval attaché au même anneau, on le monte dans la cour, on met pied à terre au même endroit, on le remet dans son box ou son pré après l'avoir bouchonné...

Le challenge pour le cavalier responsable qui ne veut pas subir la "soi-disante crise d'adolescence" et si le cheval est plus âgé "le fait qu'il devient rétif" est de faire preuve d'imagination pour VARIER, VARIER, VARIER les activités avec le cheval : travail à pied (qui ne veut pas dire forcément "longer") dans des cadres différents : pourquoi ne pas pratiquer quelques gestes d'éthologie à côté d'un champ de vaches?
varier les itinéraires de sortie en extérieur (et si c'est possible emmener par un moyen motorisé le cheval pour une rando dans un endroit inconnu);
varier les disciplines;pourquoi ne pas essayer d'enseigner quelques exercices "dits western" à un cheval d'obstacle;
ne pas panser , monter, descendre du cheval toujours au même endroit...

2ème piste pour éviter que le cheval s'ennuie : tendre vers la discrétion, la légèreté. Il faut que le cheval mobilise son attention pour saisir ce qu'on lui demande. Exemple basique (un peu caricatural, mais bon...) : mettre au trot un cheval à grands coups de talon est assurément moins valorisant, moins confortable et moins intéressant pour lui que si l'on se contente d'une indication discrète qui nécessite toute son attention.

Voici une autre réflexion pour éviter que les courbes "JE SAIS" et "J'AI ENVIE" ne s'éloignent :
Augmenter très progressivement les difficultés
(en commençant par ce que le cheval aime) pour que petit à petit la volonté du cavalier devienne la volonté du cheval.
Exemple : les chevaux que nous débourrons apprennent facilement et rapidement les bases (tourner, démarrer, s'arrêter) parce que nous commençons par les faire suivre le cheval qui est leur "copain"; la volonté du cheval et du cavalier se confondent.

Si malgré toute notre bonne volonté, les 2 courbes s'éloignent, il faut être extrêmement prompt à mettre le "juste inconfort immédiat". Pour tendre vers ce "juste inconfort immédiat", il faut réussir à ce que la mauvaise attitude du cheval soit la cause de son inconfort.

Voici un exemple que nous avons vécu : un petit hongre, adorable par ailleurs, refusait de partir seul et avait trouvé pour défense le fait de se cabrer.
Nous avons fixé des protections de transport sur ses postérieurs et nous l'avons mis aux longues rênes. Nous lui avons demandé de s'éloigner; dès qu'il a tenté de se cabrer, en tirant sur les longues rênes, nous avons réussi à le faire basculer; lorsque monté, il a tenté de se lever, il fallait faire mine de vouloir le faire se lever plus haut... et aussitôt, il redescendait.
Son attitude lui procurait de l'inconfort... il a donc changé d'attitude. Si nous nous étions dit "le pauvre, il n'ose pas sortir tout seul", il aurait compris que son intérêt était de se cabrer pour éviter de sortir et de continuer à vivre sa vie avec ses copains d'herbage.

Tout ceci étant dit, il est vrai que trouver le juste inconfort, réussir à être discret, trouver des idées pour que le cheval ne s'ennuie pas n'est pas forcément facile. Certains se diront qu'un cheval plus âgé nécessitera moins d'effort.

Si on ne connait pas le passé d'un cheval d'âge, il faut envisager l'hypothèse qu'il a déjà réussi à imposer sa volonté lorsque les courbes "JE SAIS" et "J'AI ENVIE" se sont éloignées (ce qui peut expliquer que ce cheval soit mis en vente). Et il est très difficile de refaire coïncider ces 2 courbes lorsque le cheval a déjà gagné.
Si on connaît son passé et que l'on est sûr qu'il a toujours été bien éduqué, il peut y avoir moins d'incertitude à acquérir un cheval plus âgé.
Mais il faut rester responsable : même avec un passé favorable, les 2 courbes sont toujours susceptibles de s'éloigner.

A ce stade de notre reflexion, il faut peut-être prendre en compte une autre donnée : une nouvelle courbe qui s'incrusterait entre "JE SAIS" et "J'AI ENVIE" : la courbe "RESIGNATION".
Peut-être, chez certains chevaux, même lorsque "JE SAIS" et "J'AI ENVIE" s'éloignent, une sorte de résignation permet à ces chevaux d'avoir un comportement facile : le cheval n'a pas l'envie mais accepte. Cette faculté à se résigner est sans doute plus fréquente chez les chevaux qui ont de la "bouteille" que chez les jeunes. Mais rien ne dit que cette résignation est définitivement ancrée.

Il est, à notre avis, plus valorisant pour un cavalier de réfléchir et d'agir pour que les courbes "JE SAIS" et "J'AI ENVIE" se rejoignent plutôt que de se contenter d'espérer qu'un cheval qui semble résigné le reste.

Pour conclure, il faut être conscient que pour nous aussi, humains, les notions d'ennui, d'intérêt, de subtilité ou de progressivité rentrent en compte. Nos satisfactions, nos frustrations, nos devoirs peuvent aussi se shématiser dans ces notions de "JE SAIS QUE JE DOIS" et "J'AI ENVIE"... et là, on tombe sur les notions de "Moi" et de "Surmoi"... Au secours, Freud attaque!



Vous pouvez envoyer vos réactions à

Liste des autres chroniques